"Une séduction savante" - Texte de Claude Hilaire-Hastaire pour le catalogue de l'exposition HILAIRE à la Galerie Raugraff à Nancy

Lundi 27 Septembre 2010

"Une séduction savante" - Texte de Claude Hilaire-Hastaire pour le catalogue de l'exposition HILAIRE à la Galerie Raugraff à Nancy
Etymologiquement, la séduction est dans le meilleur des cas un détournement, une corruption dans le pire en son acception. Alors que fait l’art d’Hilaire, sa peinture plus précisément, lorsqu’elle s’impose à notre rétine, à notre œil avide d’ailleurs ? Que réchauffe-t-elle en nos natures parfois frileuses ? Que de science afin de nous projeter hors de nous –mêmes, nous « détourner ». Et finalement « corrompre » heureusement l’idée première que nous nous faisons de la représentation.

Au motif que personne ne lit les préfaces ou autres textes sur la peinture, nous avons le plus souvent affaire depuis longtemps à des exercices de style plus ou moins interchangeables en la matière. Quand j’écris « style » je sais que je suis bien aimable. Flaubert n’entendait rien à la peinture ; cependant cet aspect stérile de la critique ne lui avait pas échappé : « Ils écrivent des Salons ou plutôt copient toutes les rengaines des critiques d’art en laissant les noms propres en blanc. La première fois qu’ils iront à Paris, ils iront à l’Exposition et mettront les noms propres idoines aux articles faits d’avance » (Le dictionnaire des idées reçues). Déjà !
L’heure heureuse des historiens d’art
Mais à l’occasion de l’exposition Hilaire au Musée Georges de La Tour à Vic- sur- Seille ont paru une nouvelle biographie sur le peintre et un catalogue très substantiel. D’où une floraison de textes, d’analyses sans précédent sur l’œuvre de Camille Hilaire . La plupart apparaissent en leur excellence comme bienvenus, rafraîchissants pour la mémoire. Historiquement ils comblent une absence, un vide. C’est la toute première fois que l’œuvre d’Hilaire apparaît sous ses aspects multiples : Dessins, Vitraux, Décorations murales, Tapisseries, Porcelaines, et bien sûr la Peinture, toutes disciplines servies par une iconographie en tous points remarquable. Pour la première fois aussi que des toiles de Simone Jance, sa talentueuse épouse, sont exposées et reproduites aux côtés des siennes. Les véritables commentateurs de l’œuvre sont aujourd’hui les historiens d’art. Ce qui nous assure assez tôt somme toute de la dimension « historique » de cet artiste qui jamais n’avait envisagé sa postérité ; trop bon vivant pour imaginer -organiser ?- quoique ce soit après sa mort. Etant l’un des rares à avoir eu affaire à sa « vraie » modestie, je puis affirmer que Camille n’a jamais évoqué la destinée de son œuvre après sa disparition. D’ailleurs Il ne parlait pas de la mort, ou s’il effleurait le sujet il employait mille circonvolutions, dans le genre : « Je vais vous enterrer des toiles dans le jardin, vous en aurez besoin lorsque je casserai ma pipe… » Parole de « vivant » s’il en est : c’est lui qui enterre ! Personne n’a songé depuis à retourner le jardin…L’idée même d’un catalogue raisonné de son œuvre l’aurait achevé prématurément. Comme si sa part de « vanité » avait déjà été comblée par le succès rencontré de son vivant.

Deux, trois choses que je sais de mon père
Ce long liminaire afin de confier que si je peux dire quelque chose de particulier, d’inédit à propos de Camille Hilaire, c’est que je m’exprime d’ailleurs- pas seulement comme fils, mais aussi comme peintre. La proximité n’est nullement une garantie d’objectivité- au contraire, me rétorquera-t-on peut-être justement ? Juge et partie ? Nulle part je ne suis juge de quoi que ce soit concernant mon père. Partie ? Oui, j’ai de l’admiration pour cet homme né dans une précarité extrême et qui par son énergie, son intelligence et son talent aura eu raison d’une destinée mal engagée. Par ailleurs, je dirais simplement que parler d’un artiste en interrogeant son œuvre ou en témoigner en ayant vu l’homme se construire pendant des décennies suppose une différence dite de nature dont je considère au plus haut point la portée. Sachant fort bien que la distance peut se rendre coupable de sublimation, voire de fétichisation.
Aussi, loin de ce qui a été entrepris avec bonheur ces derniers temps, j’imagine plutôt parler des deux ou trois choses que je sais à propos de mon père. Deux, trois choses importantes, pour moi essentielles. Et que l’on ne peut inventer, imaginer, tant Camille Hilaire à l’instar des vrais créateurs était un personnage aux facettes multiples.
Une œuvre naît toujours de la complexité. Aborder la création artistique est sans doute le mouvement le moins naturel qui nous soit donné. N’oublions pas que même l’art pariétal était animé par l’idée de culte. Soigner, aider, sauver son prochain dans les difficultés en tous genres serait de l’ordre du réflexe. Un réflexe qui avec le temps s’est très naturellement institutionnalisé. Mais que va sauver Cézanne en voulant restituer-instaurer une structure qui semblait perdue par l’aventure impressionniste ? Qu’est-ce qui agite Picasso, coincé dans ses périodes bleues/roses (qui plaisent tant à ceux qui n’aiment pas le peintre), condamné à repeindre Degas ou Lautrec en ces couleurs, et à un certain moment, imposer ses Demoiselles d’Avignon ? On peut aujourd’hui brocarder Picasso sur son « coup de maître » mais était-ce gagné avec un tel tableau à ce moment?
Revenons à Hilaire: qu’allait-il faire dans cette galère ? Pourquoi cet enfant pauvre ne veut pas de cette vie à laquelle très tôt il était parvenu : entrepreneur en peinture de bâtiment. Il suffit d’avoir connu le peintre pour savoir que ce n’est pas la dureté du labeur qui l’en aura éloigné : beaucoup de travaux monumentaux entrepris plus tard seront physiquement tout aussi éprouvants – sans parler d’une obligation de résultat autrement plus risquée.
A ce moment il est intéressant de noter que sa mère a mis deux enfants au monde, deux fils : la situation plus que précaire des parents n’empêchera pas Marcel, l’aîné, d’être musicien (violoncelliste) et Camille, le peintre que l’on sait. Vocations, sans doute, mais vocations encouragées : j’ai beaucoup entendu parler d’un oncle providentiel, tombé du ciel… Marcel vivra sa vie quelque peu compliquée d’instrumentiste, de la République Dominicaine à l’Orchestre de Monte-Carlo. Sur le tard, il s’essaiera à la peinture et à la critique d’art. Camille, par son caractère bien trempé, fort d’une technique impeccable en maints domaines, accèdera à une notoriété qui le consacrera. A partir des années soixante il sera largement à l’abri du besoin et connaîtra ensuite des années plus que fastes.
De moins en moins tributaire des commandes, de plus en plus libre de mener à bien sa peinture, Hilaire s’affirme. La prospérité se dessine, s’installe. Il ne tord pas le cou à cette destinée; il lui emboite le pas. Non par esprit de lucre ou goût effréné du luxe mais plutôt par un légitime esprit de revanche. Lorsque l’aisance matérielle surgit dans une vie où la difficulté extrême a toujours été la règle, il semble difficile de s’en détourner. N’allons pas demander à un artiste courageux l’abnégation qui anima parfois les mystiques ou autres résignés à ne point goûter au plaisir. Et surtout Camille aime plaire…

Camille et le bonheur en son atelier
Hilaire n’était vraiment heureux que dans son atelier. Je sais que la phrase pourrait être formulée plus correctement. Cependant c’est ainsi que je l’entends, au sens où elle me taraude depuis toujours. Certes, il faut entendre : Hilaire n’était vraiment heureux que lorsque dans la solitude que supposait son atelier, il pouvait peindre à sa guise, à l’abri du « monde », de ses complications- lui qui se faisait un monde de toute chose. Le seul endroit où il sifflotait comme un pinson. Concilié, réconcilié, allumant un cigarillo, son J&B noyé de glaçons et Perrier à portée de main, et le tout sur fond de radio. Rassuré, mais tout à parfaire cette séduction savante qui est la marque de son œuvre. Partout ailleurs il se trouvait dans une situation qui souvent se révélait délicate : la vie de famille, la vie en société, les rapports marchands… Souvent il se défaussait sur la fatigue pour légitimer son absence en famille, en revanche, en société, il faisait un effort –cet effort avait pour objectif de couronner son succès, de renvoyer une image « positive » à ses interlocuteurs. En ce qui concerne les rapports avec l’argent, les marchands, le plus souvent encore il se défaussait sur son épouse. Combien de fois Simone a-t-elle hérité de situations délicates dont elle ne connaissait pas forcement « tout » l’historique. Précisons qu’à l’époque de l’Euro, Camille en était toujours aux anciens Francs…
Hilaire n’était maître que dans son atelier : ailleurs il apparaissait souvent fragile, sensible, prompt à la défense, à la fuite en avant via l’humour. Susceptible, il supportait mal la critique. Son intelligence déployée à sortir de sa condition première et « condamnée » à inventer une peinture viable, personnelle et savante ne pouvait répondre aisément à l’hostilité : il n’était pas rompu au cynisme bourgeois - et c’est tant mieux. Seuls les lauriers semblaient lui convenir mais sans le combler. A ce point de détail près: lorsque l’origine de ces compliments ne lui semblait pas de bonne qualité, il le vivait comme un malentendu.

Un amphitryon lucide
Toujours, même au fait du succès, Camille aura gardé une lucidité rare : il savait parfaitement où il était. Il brocardait ceux qui le mettaient au-dessus de Matisse mais s’énervait justement contre ceux qui, dans leur précipitation marchande le mêlaient à des peintres « figuratifs » révélés par la lithographie, des peintres plus que mineurs, minuscules… Lui, à qui André Lhote avait confié la responsabilité de son atelier alors qu’il partait pour l’Egypte, lui, l’ami de Jacques Villon, lui, dont les toiles exposées à la galerie 65 chez Gilberte Duclaud à Cannes plaisaient et intéressaient Picasso…
Hilaire était un amphitryon. D’une nature généreuse il invitait facilement des personnes qui l’admiraient- sans que cela fût réciproque-, se mettant ainsi à l’abri des contradicteurs ; béhavioriste, il savait se montrer méfiant. Souvent il sortait de déjeuners ou dîners, fatigué de n’avoir rien appris ; et pour cause : il monopolisait la parole. Camille tenait légèrement en suspicion les gens qui l’admiraient un peu trop, lui-même ne se vivant pas comme admirable, et créditait de peu de jugement, avec pertinence, ceux qui s’esclaffaient à son endroit et qui dans le même temps insultaient Dubuffet ou Hartung. C’est un aspect que peu de personnes connaissent : Camille, au contraire des peintres figuratifs célèbres de sa génération, plutôt hostiles à ceux qui menaçaient leur pratique (Lorjou, Ciry, Brayer, Carzou, Buffet…), admirait surtout des artistes éloignés de sa tendance : Fautrier, Mirò, Matta, Bazaine, Ubac, Tàpies, Bacon… Cependant il restera sa vie durant attaché indéfectiblement aux mêmes maîtres : Durër, Uccello, Matisse, Braque, Bonnard, Dufy et Picasso.
Dans ces quelques lignes j’ai tenté spontanément de brosser un tableau plus exact que celui qu’on oppose d’habitude: un «Hilaire» rigolard, quelque peu prisonnier de son succès, facile d’accès. On l’aura compris, l’homme était beaucoup plus complexe. Afin de mener à bien la somptuosité de sa peinture, et animé d’une énergie digne d’un Rubens, il lui fallait sans cesse banaliser les évènements, faire taire son anxiété et sa défiance, se masquer. Ces masques, par pudeur il les empruntait à la vie en son ordinaire. Et en honnête homme il sut toujours donner le change.

Claude Hilaire-Hastaire

Christophe Berteaux


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